
|
L’HYPOTHESE DU TITRE
Les tableaux de Jean-Luc de Poortere se présentent à nous non titrés et grande est la tentation d’y accoler – à défaut d’une présomptueuse définition – un sous-titre prometteur. Mais comment le définir ? Il nous faut, pour ce faire, dénombrer les présences, déterminer les genres, sonder les intentions, préciser les espèces, scruter les couleurs. Ici, une mère et son enfant, là, un homme et une femme – duo biblique – elle flotte, nue, comme la vérité, sur un fond rouge, serait-ce le rouge cramoisi de la passion ou le rouge sanguin de la mort ? Mais lui, s’il est bleu, est-ce pour répondre à l’affirmation de Kandinsky lorsqu’il écrivait : « Le Bleu profond attire l’homme vers l’infini, il éveille en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel. » Prenons un autre tableau et restons dans le bleu, il se décline cette fois, en aplats et en sfumato, Elle, nue, joue les odalisques sur canapé, Lui, nu, imite le faucheur. Serions-nous face à un univers symbolique dans lequel mort et luxure cohabiteraient tout en s’ignorant… ou dans une œuvre aux relents fantastiques dont les artistes du Nord ont le secret ? Hermétique alternative On dénombre aussi de multiples animaux, mais Buffon serait bien en peine d’en définir avec précision les espèces, est-ce un chien, ce drôle de corps jaune à la queue en trompette ? Est-ce un cheval ou la convention de ce dernier sur lequel l’artiste a posé la convention d’un cavalier ? Sévère condottiere. Ainsi cette fiction picturale serait-elle faite de plans colorés sur lesquels – à la manière de pièces d’échec – poserait une série d’êtres et de choses, ici une chaise bancale, là un divan, une maison ou ce sac à main bien fait pour confirmer la féminité de celle qui s’y accroche désespérément. Dérisoire butin. Et ces êtres, à la fois dénudés et asexués, en état de choc ou d’hypnose, esquissant une vague chorégraphie au sein d’un vague décor, ils nous semblent si peu communiquer. Mais qu’est-ce qui les séparent ? La Langue ? Le sexe ? La religion ou les convictions ? Même la couleur participe de cet isolement confinant parfois à l’abstraction. Rien ne serait donc fortuit dans la savante élaboration de cette peinture dont l’absence significative de titres serait propre à nous renvoyer à une perpétuelle interrogation, semblant nous signifier à travers les icônes d’un nouveau rite : regarde, de tous tes yeux regarde, et médite…
Ben Durant
|